PAS - Système dopaminergique

La dopamine au service du geste

15/04/08

À travers un article (1) publié dans The Journal of Neuroscience, une équipe du Centre de Recherches du Cyclotron de l'ULg a montré, en collaboration avec des chercheurs américains, que l'influence de la dopamine sur l'apprentissage des gestes dépend aussi de sa libération au niveau cortical. Plus spécifiquement, la dopamine produite dans deux régions cérébrales, l'aire motrice supplémentaire et le pallidum, conditionnerait la vitesse de certains apprentissages gestuels.

FR Maladie de ParkinsonIl est commun de définir la maladie de Parkinson comme la résultante d'une carence en dopamine au niveau du système extrapyramidal, entité constituée des noyaux gris (ou ganglions) de la base (encore appelés noyaux gris centraux) et des connexions qui les unissent. Plus précisément, l'affection se caractérise par la mort prématurée de neurones dopaminergiques du locus niger (ou substance noire), un de ces ganglions de la base.

Point essentiel, la substance noire intervient dans le contrôle des mouvements. Ses neurones dopaminergiques se projettent sur différentes structures cérébrales, dont en particulier un autre noyau gris, le striatum, lui aussi fortement impliqué dans le contrôle moteur. Toutefois, si le parkinson est associé au départ à une perte de neurones dopaminergiques du locus niger et de leurs projections vers le striatum, certaines théories avancent que les premiers stades de dégénérescence de la maladie pourraient se situer dans le tronc cérébral, la substance noire n'étant touchée que plus tard. Des symptômes non moteurs, telle une perte de l'odorat, précéderaient alors les symptômes moteurs et en constitueraient un signe annonciateur.

Quoiqu'il en soit, un ralentissement des gestes est observé chez le patient parkinsonien, une fois sa maladie avérée. Aussi des chercheurs du Centre de Recherches du Cyclotron (CRC) de l'Université de Liège se sont-ils intéressés, en collaboration avec une équipe des National Institutes of Health (NIH), aux Etats-Unis, au rôle de la dopamine dans le contrôle des mouvements et en particulier dans l'apprentissage de nouveaux gestes. Quelques études avaient mis en exergue que ce neurotransmetteur favorisait l'apprentissage moteur, mais elles ne concernaient que l'animal. Qu'en était-il chez l'homme ?

Une seconde question taraudait le groupe de chercheurs belgo-américain : quelles relations pouvait-il exister entre la dopamine produite en concentrations très importantes au niveau des noyaux gris de la base et celle présente en concentrations beaucoup plus faibles au niveau du cortex ? La question se posait avec d'autant plus d'acuité que l'on ignorait jusque-là le rôle dévolu à la dopamine dans le contrôle moteur tant chez l'homme normal que chez le patient parkinsonien.




(1) Task-Related Interaction Between Basal Ganglia and Cortical Dopamine Release, par Gaëtan Garraux, Philippe Peigneux, Richard E. Carson et Mark Hallett, dans The Journal of Neuroscience, 26 décembre 2007.

Apprentissage implicite

Quinze volontaires sains âgés d'une soixantaine d'années participèrent alors à une expérience reposant sur une tâche motrice inspirée des travaux d'Axel Cleeremans, chercheur qualifié au FNRS et professeur à la Faculté des sciences psychologiques et de l'éducation de l'Université libre de Bruxelles (ULB).

Le protocole défini par Axel Cleeremans était le suivant. Des personnes sont invitées à se placer devant un écran d'ordinateur sur lequel ont été fixés six points où peuvent apparaître un stimulus visuel – un cercle noir, par exemple. A chacun des points correspond une touche. La tâche consiste à appuyer le plus rapidement possible au bon endroit dès que le stimulus se manifeste à l'écran.

Qu'a constaté l'équipe du chercheur de l'ULB en soumettant des sujets à cette tâche ? Tout d'abord, que les participants à l'expérience devenaient de plus en plus rapides à mesure que les essais se répétaient – ils coordonnaient mieux leurs mouvements, leurs gestes s'automatisaient. Mais là n'est pas l'essentiel. Lorsque les chercheurs manipulaient le jeu, de sorte que les endroits successifs où le stimulus apparaissait à l'écran ne relevaient plus d'une séquence aléatoire, mais, contrairement à ce que les sujets étaient induits à penser, répondaient à une règle selon laquelle le point où survient le stimulus est fonction des emplacements où il a été vu précédemment, les performances s'avéraient sensiblement meilleures. Il y avait donc apprentissage implicite, c'est-à-dire non conscient.

Les équipes du CRC et du NIH adaptèrent la tâche pour la couler dans le moule des objectifs de leurs travaux. Tout d'abord, le nombre de positions où pouvait apparaître un stimulus visuel à l'écran fut réduit de six à cinq. Ensuite, les sujets ne pouvaient pas utiliser n'importe quel doigt pour appuyer sur n'importe quelle touche. Une «boîte de réponse» épousant la forme de la main avait été conçue, de sorte que chacun des cinq boutons ne pouvait être manipulé que par un et un seul doigt.

Au cours de l'expérience, la libération de dopamine dans le cerveau fut mesurée au moyen de la tomographie par émission de positons (PET), avec pour traceur radioactif le raclopride marqué au carbone 11. Cette substance est un ligand des récepteurs dopaminergiques D2 et D3. De ce fait, elle entre en compétition avec la dopamine. Dès lors, la libération de cette dernière dans le cerveau peut être évaluée indirectement en fonction de la quantité de raclopride qui se fixe sur les récepteurs D2 et D3. Moins cette quantité est importante, plus il y a de dopamine libérée. Et inversement.

Deux situations expérimentales furent définies. Dans la première (tâche contrôle), les sujets, au repos, devaient se contenter de regarder l'apparition à l'écran d'une petite croix voyageant entre les cinq positions prédéfinies. Le but était de déterminer l'impact de leurs saccades oculaires en termes d'activations cérébrales ou, plus précisément, de stimulation dopaminergique, puisqu'il s'agissait d'une étude d'activation spécifique à un neurotransmetteur. Cet élément la distingue des autres études de neuroimagerie, par IRMf (imagerie par résonance magnétique fonctionnelle) par exemple, où l'activation est non spécifique de ce point de vue. C'est pourquoi la tâche contrôle, qui dura 50 minutes, fit l'objet d'une première mesure du tonus dopaminergique, par PET. Dans la seconde situation expérimentale (50 minutes également), les volontaires devaient appuyer avec le «bon» doigt sur le bouton correspondant au point de l'écran où apparaissait la petite croix. Une nouvelle mesure de la libération de dopamine fut réalisée. La comparaison entre les images des deux scans révéla, par soustraction, les activations cérébrales (libération de dopamine) propres à l'apprentissage moteur.

Garraux Fig 1 FR

«Sur le plan comportemental, on observa une diminution progressive du temps de réaction des sujets, explique Gaëtan Garraux, neurologue chef de clinique au CHU de Liège et chercheur qualifié au FNRS. Cela signifie qu'ils encodaient progressivement les règles implicites qui gouvernaient les localisations successives du stimulus visuel. Quant à la TEP, elle dévoila pour la première fois chez l'homme que la dopamine joue un rôle dans l'apprentissage de nouveaux gestes des doigts de la main, et ce dès la séance d'entraînement initiale.»


Une relation inverse

Ce n'est pas tout. L'élément cardinal de l'article publié par l'équipe belgo-américaine dans The Journal of Neuroscience tient à une autre découverte. D'une part, les chercheurs montrèrent que, contrairement à l'opinion dominante, la vitesse d'un apprentissage moteur n'est pas seulement liée à la libération de dopamine dans les ganglions de la base, mais également au niveau du cortex. Mieux encore : deux régions interconnectées influeraient de façon déterminante sur la performance des sujets, l'aire motrice supplémentaire (cortex prémoteur médial) et le pallidum, un des noyaux gris de la base. De surcroît, une «relation inverse» les unirait. En effet, parmi les quinze sujets étudiés, ceux dont l'apprentissage était le plus rapide étaient également ceux chez qui le niveau de dopamine augmentait le plus dans l'aire motrice supplémentaire et le moins dans le pallidum.

«Comme on n'a observé aucune corrélation entre la performance des volontaires et la quantité de dopamine libérée dans d'autres noyaux gris de la base que le pallidum, il faut en déduire que la libération du neurotransmetteur dans ces régions intervient certes probablement dans l'apprentissage moteur, mais pas directement dans la vitesse avec laquelle il s'effectue», précise Gaëtan Garraux.

Garraux Fig 2 FR

Les résultats de l'expérience réalisée par le groupe belgo-américain corroborent ceux obtenus chez le rongeur et le singe : plus il y a de dopamine libérée au niveau du cortex, moins il y en a au niveau des noyaux gris de la base. Toutefois, on ignore encore les mécanismes présidant à ce phénomène, même si l'hypothèse la plus communément avancée est que la libération du neurotransmetteur au niveau des ganglions de la base dépend de la quantité qui en est produite au niveau cortical.

Gaëtan Garraux et ses collaborateurs du CRC ne comptent pas s'arrêter en si bon chemin. Ils veulent affiner les données recueillies lors de la première étude en utilisant comme traceur radioactif la fallypride marquée au fluor 18, un autre antagoniste dopaminergique dont l'avantage par rapport au raclopride est d'offrir une meilleure définition de la libération de dopamine dans les régions corticales. De fait, il présente une plus grande affinité avec les récepteurs dopaminergiques. Techniquement, cela permet de contourner l'écueil inhérent à la faible concentration de ce type de récepteurs dans le cortex et, partant, d'obtenir des images de résolution (rapport signal-bruit) supérieure.

Dimension thérapeutique

La nouvelle expérience ne sera pas qu'un décalque de la première, dans la mesure où elle s'adressera tant à des sujets normaux qu'à des patients parkinsoniens. En effet, le rôle de la dopamine corticale dans la maladie de Parkinson et dans d'autres pathologies du mouvement demeure méconnu. Le neurotransmetteur produit dans le cortex est-il impliqué dans les complications induites par la délivrance de son précurseur, la L-Dopa ou lévodopa, comme médicament destiné à en pallier sa carence cérébrale ? Au contraire, la dopamine sous-corticale (noyaux gris centraux) est-elle la seule à être concernée ? L'enjeu est de taille, puisque se profile peut-être à l'horizon la possibilité d'améliorer la stratégie thérapeutique la plus couramment employée dans le cadre du parkinson.




La L-Dopa, rappelons-le, possède certes une action bénéfique à court terme dans le traitement de la maladie, mais son administration entraîne par ailleurs une aggravation des symptômes moteurs après quelques années. Elle donne lieu à ce qu'il est convenu d'appeler des «fluctuations motrices».

Jamais jusqu'à présent, il n'avait été montré chez l'homme que la dopamine était impliquée dans des apprentissages moteurs. Ainsi, la dopamine libérée au niveau du cortex cérébral était étudiée non en relation avec le mouvement (cortex prémoteur), mais avec la mémoire de travail (cortex préfrontal).

Abstraction faite de la sphère du parkinson, les résultats publiés récemment dans The Journal of Neuroscience pourraient conduire à réévaluer certaines stratégies thérapeutiques de revalidation d'un handicap moteur chez des patients cérébrolésés. «Une étude américaine parue dans le Lancet en 2001, mais dont les conclusions ne furent cependant pas totalement corroborées par des travaux ultérieurs, indiquait que l'administration de L-Dopa à des patients venant de présenter un accident vasculaire cérébral ischémique avec handicap moteur avait un effet bénéfique sur leur revalidation», rapporte Gaëtan Garraux. Toutefois, ignorant le rôle de la dopamine corticale dans la vitesse d'apprentissage du mouvement, cette étude ne se référait qu'à un accroissement de la libération du neurotransmetteur dans les ganglions de la base.

Deux remarques méritent d'être formulées. D'abord, les travaux coordonnés par Gaëtan Garraux s'étant focalisés sur une tâche d'entraînement de mouvements de la main, les conclusions auxquelles ils ont donné lieu ne peuvent être étendues, dans l'état actuel des connaissances, à d'autres types d'apprentissages moteurs. Néanmoins, elles balisent une voie de recherche qui pourrait s'avérer féconde. Ensuite, que la vitesse d'apprentissage des mouvements étudiés soit corrélé positivement avec une plus grande libération de dopamine dans une région du cerveau (aire motrice supplémentaire) et une plus faible libération dans une autre région (pallidum) incite à penser que l'administration d'un précurseur (L-Dopa) du neurotransmetteur en vue d'augmenter sa concentration cérébrale peut avoir des effets paradoxaux. «La régulation de la dopamine est sans doute beaucoup plus fine qu'on ne pouvait l'imaginer jusqu'ici», conclut Gaëtan Garraux.